Un objectif national qui change la donne : comprendre le ZAN

La loi Climat et Résilience, adoptée en août 2021, a gravé dans le marbre la trajectoire dite “zéro artificialisation nette” (ZAN) des sols à horizon 2050. En clair : il s’agit de cesser d’étendre la ville sur les derniers espaces naturels ou agricoles. L’urba-croissance sans limites ? C’est fini. À la clé, une trajectoire ambitieuse :

  • Diviser par deux en dix ans l’artificialisation des sols par rapport à la décennie 2011-2021 (source : Ministère de la Transition écologique).
  • Atteindre le “zéro net”, c’est-à-dire compenser chaque nouvelle artificialisation par une renaturation, d’ici 2050.

Derrière ce mot d’ordre, une révolution silencieuse secoue l’écosystème des collectivités, surtout dans les métropoles dynamiques comme Toulouse. Le pays toulousain, deuxième agglomération française en croissance démographique depuis 2010, est au carrefour d’injonctions parfois contradictoires : répondre à l’appétit de logements, soutenir l’économie, tout en préservant ses terres fertiles et ses espaces de biodiversité (source : INSEE, 2022).

Toulouse, laboratoire du changement : l’enjeu du foncier dans une métropole attractive

Avec 1,43 % de croissance annuelle entre 2013 et 2019 (source : INSEE), l’aire urbaine toulousaine se pose en figure de proue de la vitalité démographique française. Chaque année, la “Ville Rose” attire environ 16 000 nouveaux habitants – une équation à résoudre sans accroître l’empreinte de la ville sur la nature.

Entre 2009 et 2021, la Haute-Garonne a perdu 4 300 hectares de surfaces naturelles ou agricoles au profit de l’urbanisation, dont plus de la moitié dans la métropole toulousaine (source : Observatoire de l’artificialisation des sols). Ce rythme devra drastiquement baisser pour entrer dans les clous du ZAN. Comment ? En revisitant de fond en comble la stratégie foncière métropolitaine.

Nouvelles règles, nouveaux arbitrages : ce que change le ZAN pour l’action publique locale

Concrètement, le ZAN redéfinit les marges de manœuvre foncières :

  • Gel programmé de l’urbanisation à la périphérie : les extensions urbaines sur terres agricoles ou boisées, qui structuraient les décennies précédentes (ex.: périphéries de Balma, de Plaisance-du-Touch) deviennent quasi impossibles.
  • Planification territoriale sous tension : chaque commune doit décliner, via son Plan local d’urbanisme (PLU ou PLUi), des objectifs quantifiés de sobriété foncière. La Métropole toulousaine devra redistribuer « l’effort ZAN » entre centre, banlieue et couronne périurbaine.
  • Ciblage prioritaire des “gisements fonciers” déjà artificialisés : zones d’activités obsolètes, friches ferroviaires (ex. : La Cartoucherie, Montaudran), vastes parkings… deviennent précieux pour « recycler la ville sur la ville » (source : Toulouse Métropole, Schéma Directeur Immobilier 2023).

Ainsi, l’action foncière se concentre désormais sur l’existant, quitte à requalifier, transformer, rénover, rediviser les espaces bâtis plutôt que de les étendre.

Chiffres-clés : mesurer le défi toulousain

  • Surfaces artificialisées Entre 2011 et 2021, 1 455 hectares ont été artificialisés par an en Occitanie (source : Observatoire du Foncier en Occitanie). À l’échelle toulousaine, on estime que la consommation annuelle doit désormais chuter à moins de 200 hectares par an d’ici 2030.
  • Part du renouvellement urbain En 2022, moins de 55 % des nouveaux logements de la métropole étaient réalisés en renouvellement urbain (contre 50 % en 2016). L’objectif : dépasser les 75 % à horizon 2030.
  • Prix du foncier Le prix moyen du terrain à bâtir a augmenté de 22 % à Toulouse entre 2017 et 2022 (source : Notaires de France), un effet connexe attendu du resserrement de l’offre foncière.

Ces évolutions chiffrées illustrent la pression croissante sur chaque mètre carré disponible et la montée en puissance du recyclage foncier comme levier prioritaire.

Quels outils pour une stratégie foncière “post-artificialisation” ?

Sélectionner et activer les “réserves cachées”

La métropole mise sur l’inventaire fin des potentiels de renouvellement urbain :

  • Friches et délaissés : Près de 1 200 hectares de friches ont été recensés sur le territoire de l’ex-communauté urbaine (source : EPF Occitanie). Certaines opérations emblématiques, comme l’écoquartier Guillaumet ou la reconversion du site GIAT à Labege, illustrent cette dynamique.
  • “Dents creuses” : Parcelles inoccupées en cœur de ville ou en banlieue, potentiellement mobilisables pour du logement abordable ou des projets intermédiaires.
  • Mutation des zones d’activités : Après la pandémie, la demande en bureaux évolue, libérant des m² convertibles en logements ou en activités mixtes (ex. ZAC Malepère).

Des outils juridiques et financiers renouvelés

  • Droit de préemption urbain renforcé, avec une stratégie ciblée sur les secteurs de mutation.
  • Foncière métropolitaine : création d’une filiale pour porter le foncier transitoire, garantir l’assemblage de parcelles et soutenir des opérations pilotes en ZAN.
  • Appels à projets pour la “ville dense et désirable” : En lien avec l’ANRU pour réinventer l’habitat là où le foncier existe déjà (Belvédère, MEETT…).

Impacts sur l’habitat et la production immobilière

  • Densification raisonnée : +15 % de logements produits en moyenne par hectare dans les projets neufs depuis 2019 (source : Toulouse Métropole), sous contraintes de qualité urbaine.
  • Logement abordable : 37 % des permis de construire à Toulouse en 2022 sont des logements sociaux, un record stimulé par le manque d’offre “privée classique”.
  • Requalification contre la vacance : 8,5 % de vacance dans l’immobilier tertiaire à l’échelle métropolitaine, soit 180 000 m² potentiellement contextualisables (source : Arthur Loyd).

Les controverses et défis à relever pour Toulouse

Des tensions entre densification, qualité de vie et acceptabilité

La densité urbaine ne va pas sans débat. À Toulouse, des collectifs de riverains se mobilisent contre certains projets : la verticalisation en centre-ville ou la densification des faubourgs fait l’objet de réticences sur la pression sur les écoles, les transports ou la “perte d’âme” architecturale (source : France 3 Occitanie, 2023). La concertation devient clé pour éviter l’effet “capsule” : une ville plus compacte, oui, mais conviviale, respirable, inventive.

Le foncier économique, un angle mort ?

Face à la rareté du foncier, le logement absorbe l’essentiel des efforts. Or, Toulouse doit aussi sauvegarder ses capacités d'accueil de l’industrie, de l’innovation et des nouveaux services. Le maintien de zones mixtes (production/logement) dans les futurs PLUi sera un marqueur critique de la réussite du ZAN.

Risques de “report” sur les territoires voisins

Limiter trop brutalement l’urbanisation à l’intérieur de la métropole pourrait déporter la pression vers les communes rurales voisines, où la contrainte ZAN sera plus souple ou moins contrôlée – recréant ce qu’on appelle souvent “effet donut”. Une stratégie coordonnée au niveau du SCoT (Schéma de Cohérence Territoriale) sera donc indispensable.

Vers quels nouveaux modèles urbains ?

  • Métabolisme urbain circulaire : Réutiliser, transformer, recycler ce qui existe, privilégier la réhabilitation au “neuf” ex nihilo – inspiré de villes pionnières comme Bordeaux ou Lyon.
  • Mixité d’usages : Concevoir des quartiers où l’habitat, l’économie, les services et la nature urbaine cohabitent plus étroitement – l’expérience des Ramassiers à Colomiers ou du futur quartier TESO en sont des démonstrateurs.
  • Innovation citoyenne : De nombreuses associations toulousaines poussent pour des démarches de co-programmation foncière, d’acquisition citoyenne ou d’expérimentation (fermes urbaines, micro-forêts, tiers-lieux…).

Cet horizon appelle un changement de culture : désormais, chaque projet urbain relève autant du travail d’orfèvre que d’architecture, d’écoute du territoire que de stratégie.

Cap sur une ville réinventée : quelle trajectoire pour 2030 ?

Le ZAN à Toulouse n’est pas un simple cahier des charges, c’est l’aiguillon d’une redéfinition profonde des façons de fabriquer la ville. À horizon 2030, le défi sera de faire de la sobriété foncière un facteur d’inclusion, d’équité territoriale et de qualité urbaine. La réussite dépendra de la capacité collective à :

  • Mobiliser pleinement le gisement de renouvellement urbain, sans sacrifier la qualité de vie ;
  • Renforcer le dialogue avec les habitants pour inventer de nouveaux compromis urbains ;
  • Maintenir l’agilité de l’économie toulousaine tout en préservant ses atouts paysagers et agricoles.

Pour la métropole toulousaine, réussir le virage du ZAN, c’est apprendre à bâtir la ville sur elle-même, à renouveler l’imaginaire urbain autant que les outils réglementaires. Un défi stimulant, à suivre et à débattre ensemble, sur Cap sur Toulouse 2030.

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